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Du nouveau sur le droit de préférence du preneur d’un bail commercial

Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, no 20-17.799, publié au Bull.

 

Mots-clés : bail commercial — vente de la chose louée — droit de préférence du preneur d’un bail commercial — honoraires de l’agent immobilier — promesse de vente souscrite par le bailleur au bénéfice d’un tiers et assortie d’une condition suspensive tenant à l’exercice du droit de préférence du preneur

 

Thèmes : Fonds de commerce — baux commerciaux

 

Commentaire : un bail commercial portant sur un immeuble à usage d’hôtel est conclu le 16 mai 2006. Le 24 octobre 2018, le propriétaire des murs fait signifier au preneur une lettre recommandée qu’il lui avait adressée le 19 octobre de la même année et valant offre de l’immeuble loué au prix de 5.050.000 euros, outre une commission d’agence immobilière de 300.000 euros.

Le preneur conteste la régularité de cette offre de vente par lettre recommandée du 29 octobre 2018.

Le 9 novembre 2018, le propriétaire consent à un tiers une promesse unilatérale de vente de l’immeuble au prix de 5.050.000 euros. Plus tard, il assigne le preneur aux fins de constatation de la purge de son droit de préférence.

La cour d’appel déboute le preneur de ses prétentions. Ce dernier se pourvoit en cassation.

Dans le troisième moyen pris en ses deux premières branches, le preneur reproche à l’arrêt querellé d’avoir jugé que son droit de préférence est purgé.

L’auteur du pouvoir fait valoir que l’article L. 145-46-1 du Code de commerce impose au bailleur envisageant de vendre le local de notifier une offre de vente au locataire qui dispose alors d’un délai d’un mois pour se prononcer. Une telle offre est nulle dès lors qu’elle est délivrée après que le bailleur a déjà trouvé un acquéreur. Or en l’espèce, le propriétaire a conclu un mandat avec un agent immobilier avant la notification de l’offre au preneur. En outre, il a conclu, concomitamment à l’offre, une promesse unilatérale de vente au profit d’un tiers. L’offre serait ainsi nulle.

La conclusion d’un mandat avec un agent immobilier avant la notification de l’offre au preneur ainsi que la conclusion concomitante d’une promesse unilatérale de vente sont-elles de nature à rendre irrégulière — et donc nulle — l’offre de vente adressée au preneur ?

L’auteur du pourvoi fait également valoir que le droit de préférence du preneur ne peut être purgé par une promesse unilatérale de vente. Il est ainsi reproché à l’arrêt déféré d’avoir dit que la notification a été notifiée préalablement à la vente dans la mesure où la promesse de vente ne vaut pas vente.

La conclusion d’une promesse de vente avant l’expiration du délai d’exercice du droit de préférence rend-elle irrégulière — et donc nulle — l’offre de vente adressée au preneur ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme que la cour d’appel a exactement retenu que :

-       la notification de l’offre de vente a été adressée préalablement à la vente ;

-       le propriétaire peut, avant la notification de l’offre, confier à mandataire un mandat de vente puis faire procéder à des visites du bien ;

-       le fait que le propriétaire ait conclu, dès le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalide pas l’offre de vente.

Dans le troisième moyen pris en sa troisième branche, le preneur fait les mêmes griefs à l’arrêt d’appel. Il affirme que le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation. Il s’ensuit que l’offre de préemption est nulle dès lors qu’elle indique les frais d’agence, serait-ce séparément du prix de l’immeuble.

L’indication des frais d’agence en marge du prix indiqué dans l’offre de vente est-elle de nature à rendre cette offre irrégulière et donc nulle ?

La Cour de cassation considère que le moyen n’est pas fondé. Elle rappelle que l’offre de vente notifiée au preneur à bail commercial ne peut inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d’un agent immobilier. En effet, aucun intermédiaire n’est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l’effet de la loi, si bien que le preneur n’a pas à payer ces sommes. Néanmoins, la Cour affirme que la seule mention dans la notification de vente, en marge du prix principal, du montant des honoraires de l’agent immobilier, laquelle n’avait introduit aucune confusion dans l’esprit du preneur, qui savait ne pas avoir à en supporter la charge, n’est pas une cause de nullité de l’offre de vente. Il est donc possible d’indiquer dans l’offre de vente les honoraires de l’agent immobilier du moment que le prix est indiqué à part et que le preneur sait qu’il n’aura pas à les supporter.

L’arrêt du 23 septembre 2021 s’inscrit dans le sillage de l’arrêt du 28 juin 2018 (no 17-14.605). Dans ce précédent arrêt, la Cour de cassation avait indiqué que le droit de préférence du preneur d’un bail commercial est d’ordre public, ce qui avait de quoi surprendre dans la mesure où l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne figure pas dans les dispositions du régime des baux commerciaux déclarées d’ordre public par les articles L. 145-15 et L. 145-16. L’article L. 145-46-1 relève donc de l’ordre public virtuel, c’est-à-dire découvert par les juges, par opposition à l’ordre public textuel résultant d’une disposition légale.

Mieux, dans cet arrêt de 2018, la Cour de cassation affirmait deux choses :

-       l’offre préalable du bailleur ne peut inclure les honoraires dus à l’agent immobilier ;

-       le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente.

Ces affirmations avaient soulevé un certain nombre d’interrogations. On s’est ainsi demandé si la seule mention des honoraires de négociation dans l’offre, en plus du prix de vente, avait pour effet de la rendre nulle. On s’est également demandé quelles diligences pouvait accomplir le bailleur avant d’adresser l’offre au locataire. Il est en effet fréquent en pratique que le propriétaire désireux de vendre son local fasse appel aux services d’une agence immobilière afin d’obtenir des estimations et des offres d’acquisition, voire qu’il conclue une promesse de vente.

Dans l’arrêt commenté du 23 septembre 2021, la Cour apporte plusieurs éclairages.

D’abord, elle affirme que la seule mention dans la notification de vente du montant des honoraires de l’agent immobilier, en plus du prix principal, est admise. Une telle mention n’est pas de nature à induire en erreur le preneur qui sait ne pas être débiteur de ces sommes.

Ensuite, la Cour retient que la régularité de l’offre de vente n’est affectée ni par la conclusion préalable d’un mandat de vente confié à une agence immobilière ni par la conclusion préalable d’une promesse de vente au bénéfice d’un tiers, tant que cette dernière est assortie d’une condition suspensive tenant à l’exercice du droit de préférence du preneur. Sur ce dernier point, on se contentera de rappeler que la condition suspensive a précisément pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à un événement futur et incertain (C. civ., art. 1304). L’accomplissement de la condition rend alors l’obligation « pure et simple ». À proprement parler donc, tant que le preneur ne s’est pas prononcé sur l’offre adressée par le preneur ou que le délai pour y souscrire n’est pas écoulé, le propriétaire n’est pas engagé vis-à-vis du tiers bénéficiaire. Ce n’est qu’à compter de la purge du droit de préférence que la promesse du propriétaire deviendra pure et simple et que le bénéficiaire pourra lever l’option, transformant ainsi la promesse unilatérale de vente en vente. La solution proposée par la Cour parait à la fois libérale et respectueuse des intérêts en présence. 

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